Je suis superstitieuse. J’essaie de mettre la chance que je peux attraper de mon côté maintenant que j’ai vu que je n’en avais pas beaucoup, et de la garder, en faisant tout ce que je peux pour ça. Je fais jouer le destin dans ma tête pour tenter d’influer sur le réel que j’ai du mal à suivre depuis trois ans, pour gonfler tout ce qui me reste de courage dans le futur qu’on m’offre, long ou court, mais qui au final ne me demande jamais mon avis. Ma chance de survie personnelle est la mort de quelqu’un qui aurait miraculeusement un cœur en bon état, correspondant à mon réseau intérieur, et tout cela pendant que mon corps continue de faire battre ce cœur abîme sur lequel je n’ai aucun pouvoir, comme une machine à vapeur infernale et capricieuse, une mort qui le laisserait intact exprès pour moi quelque part loin ou dans un accident, là, juste en face de moi, maintenant, peut-être ou dans des mois, des années, après que je sois déjà enterrée et que ce soit le tour de quelqu’un d’autre, quoi de plus lointain, de plus subjectif que ça ?
J’ai décidé de me battre comme je pouvais contre tout ça, mais c’est souvent fatiguant, alors je me tourne vers ce qui me manque et m’attire, toute la force que je peux puiser ailleurs que dans ma vie. J’aimerais croiser un animal dans la rue ou même depuis ma fenêtre, un tigre dans l’idéal, ou une chouette effraie, le disque facial en forme de cœur, mais un chien errant ferait très bien l’affaire, ou des abeilles simplement merveilleuses pour me donner un signe que tout va bien, le monde a mon destin en main et tout va s’arranger en quelques heures. Quand je pense à ce futur au gouffre qu’il est et qu’il créera, peu importe son évolution, je suis terrifiée comme jamais, anesthésiée par la terreur.
Harfang est le nom du chirurgien qui a failli m’opérer la dernière fois, au nom évocateur de chouette, et avec une mèche de cheveux blanche, c’est un signe ça non, un présage, ça va aller, si ce cœur n’était pas beau la dernière fois, c’est lui qui m’en a protégé, ça n’aurait jamais marché avec, et la prochaine fois qu’il m’appellera, il l’aura trouvé, on me réparera et ma vie reprendra ? C’est un signe, c’est sûr, je dois y croire pour qu’il prenne encore plus de force et devienne réel.